Il faisait vraiment un temps magnifique aujourd'hui. Habituellement, je me serais arrêtée, le nez vers le ciel pour humer la brise fraîche et apprécier le soleil à la chaleur si agréable. Mais pas aujourd'hui. Tout d'abord parce que je me trouvais sur le territoire de Aurores et que, bien que cette meute ne soit pas particulièrement propice au combat, je ne souhaitais pas m'attarder seule ici. La seconde raison, étais qu'un loup roux et gris m'étais apparus au loin et qu'il avait retenu mon attention. Peut-être par sa posture, sa façon de se déplacer, ou encore... Par son air familier. Ce pourrait-il que ce loup soit...

Donc, maintenant, j'avançais du plus vite que je pouvais, espérant que ce soit bien mon sauveur devant moi, à quelques mètres seulement. Mais ce loup avait eu la merveilleuse idée de partir découvrir les montagnes. Moi, foncer dans la forêt des illusions, y semer tout un groupe et en sortir, je savais faire. Mais courir derrière un loup habitué à l'escalade au beau milieu des montagnes, ce n'était pas ce que je trouvais le plus évident. Alors, j'avançais du mieux que je pouvais, essayant de ne pas tomber ou de me couper. Je ne voulais pas m'arrêter, quoiqu'il arrive.

Mais plus j'avançais, plus mes pas étaient hésitant. Le loup devant moi s'avançais dans une partie de la montagne à l'atmosphère inquiétante. Ne surtout pas sombrer dans la folie... Enfin, le loup s'arrêta et s'assit tranquillement, l'air tout à fait détendu, ne semblant pas le moins du monde affecté par le froid ambiant. Après cet effort qui ne semblait pas toucher celui que je suivait, je m'avançais doucement vers le loup. Une larme coula lentement sur mon visage, slalomant au coeur de mon pelage. Cette posture, ce calme... C'était lui.

Algar venait de me faire la fête tel un jeune louveteau et pourtant, il gardait ce calme que je lui connaissait.

- Skana ! Je suis content de te voir, moi aussi. Que cherches-tu donc ici ? C'est étrange d'être sur nos terres, cela ne te ressemble pas tellement.

Oui, cela ne me ressemblait pas particulièrement. C'était la raison pour laquelle je n'avais pas voulu rester seule. Je souris. Algar se mis en position de jeu, enjoué.

- A moins que tu cherches la bagarre, petite louve ?

Je remarquai cet air discret de surveiller les environ et de rester aux aguets. Il ne me faisait pas entièrement confiance. Je décidai pourtant d'en faire abstraction. Si nous nous connaissions mieux, me ferait-il confiance ? C'était à tenter. Je préférais donc émettre un rire discret durant quelques instants, puis, un léger air de défis sur mon visage, je lançai :

- Je ne suis pas si petite que ça, Algar. Enfin... Par rapport à un louveteau.

J'émis un second rire, très léger. Fixant le loup, je me fis la remarque que le rapport de force était plutôt inégal. De toute façon, le rapport des forces était presque toujours inégal avec ma petite taille et corpulence. J'étais peu douée au combat. Malgré tout, je pouvais essayer d'éviter ses coups et jouer de l'agilité que le monde m'avait offerte.

- Si tu veux la bagarre, approche, je t'attend.

Un sourire joueur dessiné sur ma bouche, je continuai :

- Enfin, si tu parviens à me toucher.

Je grimpai rapidement sur un rocher, certes, mois agilement qu'Algar ne l'aurait fait, mais assez pour me placer de manière à pouvoir bondir rapidement et éviter les coups. J'attend Algar, j'attend.

Une course à travers la montage s'était installée, une course dangereuse, certes, mais tellement libératrice ! Je ne sais par quel moyen j'avais réussis à prendre de l'avance sur Algar. Avait-il tenté de me laisser gagner ? Ou alors, mon agilité à travers les montagnes avait-elle finis par augmenter ? Étrange... Et en réalité, je ne m'en rendit compte que lorsqu'un cri se fit entendre :

- Skana ?!

Je sursautai. Ma patte glissa le long d'une pierre et mon corps suivit. Je dévalai le rocher sur lequel j'avais grimpé. Le bruit sourd du choc de ma tête sur la pierre me plongea dans le noir. Il y avait une voix... Et des rires... Je les entendaient... Je savais ce que c'était. Non ! Ma folie avait profité de quelques secondes d’inattention pour prendre aisément la place de ma conscience. Skana... Skana... Tu m'as enfin laissée entrer... J'ouvris brutalement les yeux. Autour de moi, tout était légèrement flou, mais ce n'était plus ce qui m'importait. Plus rien ne m'importait. Seule cette voix féminine douce et hypnotisante. Une voix que je ne connaissais que trop bien. Cette voix, c'était celle que ma folie prenait pour s'adresser à moi. Ma conscience n'y résistait pas.

Autour de moi, une délicate neige commençai à tomber. Skana... Ecoute-moi... Skana... Tu dois retrouver Algar... Je ne pris pas une seule seconde de réflexion et me lançai immédiatement à sa recherche. Perte de conscience et confiance aveugle. Soudain, un hurlement puissant me fis m'arrêter. Il était proche. Pourquoi je devais le chercher ne m'importait absolument pas. J'escaladai quelques rochers et me retrouvai près d'une cavité au coeur de la roche.

Je m'en approchai et passai la tête à l'intérieur. Algar était bien là, roulé en boule. Et autour de lui, une sorte de fumée mauve et noire s'étendait et m'approchait, menaçante. Je reculai et laissai échapper un couinement apeuré. Mes membres tremblaient et mon coeur battait fort, trop fort. Effrayée, la queue entre les pattes, je fixais la chose inconnue, sans parvenir à savoir ce que c'était

Je m'enfonçai. J'étouffai. Comment aurais-je pu m'en sortir sans y laisser la peau d'un de nous deux ? Je ne m'attendais surement pas à ces mots qui suivirent :

- Skana. Je ne partirais pas. Tue moi, si tu le souhaite, si cela peut arranger tes peines mais nous serrons perdant tout les deux. Toi, parce que tu auras perdu un ami, et moi...

Dans ses yeux, les yeux d'Algar, je percevais quelque chose de magnifique, de magique. Les ombres noires et mauves autour de moi vacillaient.

- ... parce que j'aurais perdue celle à qui je tiens, plus que tu ne peux le penser et plus qu'elle peut le penser, elle, ta folie. Ne la laisse pas tout gâcher. Je sais la douleur, je la connais, je l'es ressenti avec toi, quand je t'avais perdue. Tu n'es plus seul Skana, je ne te laisserais pas. Je te le promet...

Les ombres me relâchaient, me libéraient peu à peu. Ma folie avait une voix si lointaine, si peu importante.

- Pardonne moi...

Il me bondis dessus et se retrouva sur moi. Il utilisait tout sont poids pour que je ne bouge plus. Les ombres se brisèrent. J'entendis un dernier éclat de colère, lointain, venant de ma folie.

- Ecoute moi. Je ne bougerais pas, tant que tu ne te seras pas calmé.

La voix de ma folie s'éteignit définitivement. Un silence s'installa enfin, tranquille et calme. Des larmes de soulagement coulèrent s'infiltrant dans mon pelage. J'étais libérée.

- Merci... Du fond du cœur, merci.

J'étais un peu honteuse de n'avoir encore apporté que des ennuis à celui qui risquait de devenir mon ange gardien.

- Excuse-moi... Je ne t'apporte que des ennuis... Je suis vraiment...

Une incapable. Je n'osai pas finir ma phrase, je ne voulais pas me lamenter sur mon sort, je ne voulais pas lui apporter des problèmes supplémentaires.

- Si tu as besoin de quoi que ce soit... N'oublie pas que je suis là... Moi aussi...

Je ne voulais pas être la seule à être protégée. Lui aussi pouvait se confier à moi. Je ne voulais que faire son bonheur à présent. Mais dire que j'étais là pour lui alors qu'il me maintenait prisonnière me fit sourire. Cela avait quelque chose d'absurde, quelque part.

- Parce que moi aussi... Je tiens à toi plus que tu ne le crois.

Algar me libéra et s'ébroua.Il lança une remarque qui le fit rire, bien qu'elle augmenta légèrement ma honte. Puis, après s'être étiré il s'allongea. Lorsqu'il me regarda, je vit dans ses yeux une sorte d'affection particulière qui provoqua une légère sensation étrange dans mon ventre. Je m'égarais. Il ne fallait pas que je pense à ce que nous pourrions vivre si nous... Non. Il ne fallait pas.

- Viens te réchauffer...

Je souris malgré moi. C'était une proposition vraiment tentante. Je me trouvais capable de résister aux tentations de l'interdit, je pouvais me blottir contre lui. Comme deux amis ? Oui. Comme des amis. Je le vis se lécher la patte. Elle saignait. Je me rapprochai de lui.

- Je suis... Désolée...

Je m'approchai encore et m'allongeai à ses côtés. Me blottissant contre lui, je jetai un œil vers l’extérieur. Le temps était épouvantable, et étrangement, ceci me rendait heureuse. Cela me donnait une raison de rester près de mon sauveur. J'étais plus petite que le loup roux et je devais donc lever la tête pour voir la sienne. Ce que je fis avant de dire d'une voix rieuse :

- Tu vas vraiment finir par devenir mon ange gardien avec tout ces sauvetages !

Je le fixai avec des yeux emplis de reconnaissance et d'affection. Il me rendait plus calme et détendue par sa simple présence, il parvenait à me calmer dans ma folie. Je ne trouvais pas de meilleur terme qu'ange gardien pour le définir à ce moment précis. Le fixant, je me surpris à le détailler. En y repensant, une situation ou nous avions été aussi proche n'était jamais parvenue.

J'aimais beaucoup ses yeux dorés, cet endroit ou je trouvais toujours de l'affection lorsqu'il me regardait, cette arme contre ma folie. Il y avait vraiment quelque chose qui émanait de lui, un calme particulier, quelque chose qui m'apaisait. Et cette odeur qui me ferait le reconnaître entre mille à présent.

Je voulais vraiment lui rendre tout ce qu'il m'avait donné, d'une manière différente bien sur, mais lui rendre. Je ne savais pas vraiment par quel moyen, mais un jour, je le ferais. Je me le promettait.

Je sentais qu'il me détaillait à son tour. Je sentais son regard si doux sur mon pelage. Je sentais son sourire.

- Je serais toujours là pour toi.

Il posa son museau au bout du mien et je me sentis frissonner. Non, pas de froid. Pas de peur. Simplement d'un sentiment tout à fait étrange et que je ne comprenait pas. Que je n'avais jamais ressentit auparavant. Je le sentis se blottir contre moi, encore un peu plus. J'étais à la fois apaisée et semi-déboussolée. Que devais-je faire ? D'où venait ce bonheur intense au fond de moi ?

- Skana.. Tu.. Je... Mais..

Mon cœur s'emballa. Une vague de chaleur m'envahit. Mais soudain, je sentit Algar s’inquiéter puis se rassurer à la vue d'un mulot. Il avait du produire un bruit que je n'avais même pas entendu, perdue au milieu du bonheur.

- Oublie, ce n'est pas grave.

Quelque part en moi, je sentit pointer une déception certaine. Et pourtant, il était sûrement bien plus raisonnable que cela se passe ainsi. Je n'avais pas le droit, pour ma meute, de suivre mon cœur. Algar se leva et se dirigea vers la sortie, l'air joyeux. Pas le droit d'écouter mon cœur ? Je me levai à mon tour et le suivis. Vraiment, interdit ? Je ne voulais pas me séparer de lui. Qu'étais-ce, ce sentiment qui me dévorait de l’intérieur ? Est-ce donc cela d'accepter d'être bêta ? Je me collai contre le loup roux en fixant l’extérieur. Des questions m'envahissaient.

- Algar... Sache que tant que je serais dans mon état normal, je ne pourrais jamais te faire de mal. Et même sous l'emprise de la folie, je lutterais jusqu'au bout pour ne jamais te blesser.

Mon regard s'envolait vers l'extérieur mais en réalité, il était plongé dans le vide. Mon esprit était attiré par bien autre chose. Comme la simple odeur du loup à mes côté.

- Tu pourra toujours compter sur moi.

Je tournai la tête vers Algar. Il était magnifique. Et si je pouvais ?

- Et tout ça, c'est parce que je...

Je n'eu pas le courage de terminer ma phrase.

Je sentais la respiration d'Algar à mes côtés. Là, maintenant, j'aurais voulu que cela dure une éternité. J'aurais voulu que le temps s'arrête et qu'à jamais nos corps se frôle dans cette harmonie mystérieuse qui nous entourait maintenant. Je n'avais pas le courage de dire ce que je ressentait. Pas le courage de l'entendre non plus. Pas le courage d'assumer ce que me hurlais mon cœur. Pas le courage de faire un choix. Pas le courage. Courage.

- Je n'ai pas peur de toi, Skana.

Mes yeux le fixèrent, une lueur légèrement étonnée et profondément joyeuse y brillant. Mais Algar sortait déjà le bout de la truffe dehors. Il m'échappait. Il m'échappait et je n'avais pas la force de le retenir. Je restais impuissante devant la tempête calmée qui nous forçait à rejoindre nos meutes respectives... Respectives... Différentes... Mon cœur se serra.

- Rentrons chez nous.

Son sourire voulait être réel. Mais même un nouveau né aurait vu qu'il n'étais que factice. Je fermais les yeux tandis qu'il se rapprochait de moi pour une dernière étreinte. Nos pelage se mélangèrent une ultime fois puis, posant sa tête contre la mienne, il murmura quelques mots, les plus beau mots de cette planète.

- Je t'aime...

Je mis plusieurs longues secondes à assimiler ces mots que j'avais à la fois profondément désiré et redouter. Il profita de ces instants pour courir comme je ne l'avais jamais vu courir. Il rentrait chez lui. Non ! Je voulais crier mais rien ne sortait. J'étais comme bloquée, comme si mon cœur refusais que sans cette différence de meute, tout serais si facile...

Puis, je compris. Je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas le laisser courir loin de moi. Je ne pouvais pas vivre sans sa présence. Je ne pouvais pas le laisser à une autre louve. Jamais. Jamais. Jamais.

Alors, sans attendre plus longtemps, je me mis à courir derrière lui. Il avait de l'avance, trop sûrement. Il courait à perdre haleine. Moi, je ne pouvais pas malgré mon agilité, le rattraper. Il avait l'avantage. Mais je ne pouvais pas le laisser. Pas sans qu'il sache que moi aussi, même si j'étais si effrayée de cette relation compliquée, je l'aimais. Plus que tout.

Je trébuchai. Glissant et tombant sur le sol dur et froid, je vis son ombre disparaître. J'avais perdu. Alors, sans plus pouvoir m'empêcher de dire ce que je ressentait, j'hurlai, à plein poumon, le plus fort que je pouvais, pour qu'il m'entende :

- Je t'aime !

M'avait-il entendu ? Y ferait-il réellement attention ? Je ne savais pas. Mais je lui avait dit. Je l'avais hurler. Et quiconque aurait été dans les montagnes aurait pu l'entendre. Je ne voulais pas le perdre. Je refusais également de perdre ma meute. Alors, j'étais donc si faible ? N'avais-je pas d'autres options que choisir entre ma meute et lui ? Ma mission de bêta devait-elle m’empêcher d'accomplir celle de mon cœur ? Devais-je me révolter ? M'abaisser à ces choix ?